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Place de Casablanca dans la construction du nouveau modèle de développement au Maroc : Quelques éléments de réflexion

Mohammed Naciri, Désirs de ville. Préface de Félix Damette, postfaces de Monceyf Fadili et Grigori Lazarev (Rabat : Economie Critique, 2017), 598 p.

      Si Mohamed NACIRI, éminent géographe a consacré une grande partie de ses recherches à la ville et à l’urbanisation au Maroc et dans le Monde Arabe. Premier géographe urbain du Maroc, a été de ceux qui ont compris très tôt, l’impact et les enjeux de l’urbanisation du Pays. La grande ville et particulièrement Casablanca, métropole nationale est très présente dans ses réflexions surtout les aspects relatifs à l’aménagement et la gestion de son territoire.

Introduction

Partout de par le monde ; on assiste à un retour en force de la planification stratégique des territoires, car les principaux défis auxquels sont confrontées les sociétés ont une dimension territoriale essentielle. Cet intérêt s’explique aussi par les grandes mutations spatiales qu’enregistrent les territoires : transition démographique ; renouveau urbain et métropolisation, dynamiques socio-économiques, montée des disparités sociales et crise de gouvernance.

Le Maroc, au cours des deux dernières décennies, a accordé une importance particulière à cette question de planification, à travers les stratégies et les schémas globaux ou sectoriels, à travers les plans locaux ou régionaux ; on en compte aujourd’hui près de deux cents.

A l’instar des autres pays, il est aussi confronté à des changements profonds. Son territoire s’urbanise et se métropolise. Ainsi, en un demi-siècle, entre 1960 et 2014, sa population urbaine a été multipliée par 6,  passant de 3,3 Millions à 20,4 Millions d’habitants alors que la population totale ne l’a été que par 3 pour la même période. Elle est passée de 11,6 à 33,8 millions.

Cette dynamique accélérée de l’urbanisation a imprimé un changement majeur dans le paysage national, le Maroc est désormais un pays de citadins. Les deux tiers de la population vivent dans les villes et leurs périphéries. L’essentiel des richesses sont produites dans les centres urbains qui génèrent des retombées multiples sur l’ensemble du territoire : 75% du PIB, près de 8O% des recettes fiscales et 60% des emplois. On estime que la population urbaine du pays atteindra, à l’horizon 2050, 32 millions d’habitants sur une population totale d’environ 44 millions soit 72%.

Cette urbanisation s’est fortement renforcée le long du littoral. Du point de vue économique, l’essentiel de l’activité industrielle et du tourisme se concentre sur la côte, soit respectivement 92 et 53%.

Néanmoins, cette forte croissance urbaine s’incarne en particulier dans les huit grandes villes de plus de 500 000 habitants : Casablanca, Rabat-Salé-Témara, Tanger, Fès, Marrakech, Agadir, Meknès et Oujda. Sept de ces villes sont des chefs-lieux de région, répondant aux critères de définition des aires urbaines fonctionnelles arrêtés par l’OCDE. Le découpage régional de 2015, a pris en considération cet état de fait en faisant de l’urbanisation et de la capacité de rayonnement et d’échanges, l’un des critères fondamentaux de la définition des périmètres régionaux.

Ainsi, le processus de métropolisation au Maroc est déjà enclenché, il affecte les aires urbaines dans leurs formes et dans leurs fonctions et favorise la polarisation des régions par une aire métropolitaine et son rayonnement sur un territoire.

Aujourd’hui, les métropoles se manifestent par un débordement sur les périmètres administratifs mais aussi sur les modes de gouvernance classiques. Il devient plus judicieux d’accompagner ce processus et de réfléchir à la manière de l’intégrer dans la politique urbaine et le modèle de développement économique du pays. (Fig 1)

Tous ces changements reflètent les défis  auxquels fait face le territoire national au milieu d’une aggravation des inégalités socio-spatiales. Casablanca est au cœur de ces mutations et de ces défis. Elle bénéficie d’un poids démographique et économique majeur sur la scène nationale et possède un potentiel d’attractivité d’envergure internationale

Fig 1 : Métropolisation et nouveaux défis urbains SNAT,  Direction de l’aménagement du Territoire,2004

Toutefois, la métropole fait face, aujourd’hui à une série de problèmes et de déficits qui freinent fortement son rôle et entrave son bon fonctionnement.

Au moment des changements profonds dans l’approche des dynamiques territoriales engagés par le pays : nouvelle constitution mettant l’accent sur la solidarité entre les territoires, régionalisation avancée accordant de larges prérogatives aux acteurs locaux et charte de déconcentration, la métropole nationale est à la recherche d’un nouveau souffle pour son développement futur.

I – ِCasablanca, une métropole au cœur des mutations territoriales

Au fil des années, Casablanca a acquis le statut de première métropole du Maroc. Locomotive économique nationale et lieu d’échanges et d’ouverture sur le monde, elle est l’atout principal du pays dans le contexte de la mondialisation. La maîtrise et la durabilité de son développement est un enjeu majeur pour le pays tout entier.

A. Un cinquième de la population nationale

Au Maroc, l’échelle métropolitaine n’est pas encore prise en compte dans le cadre institutionnel et dans les documents de planification. Toutefois, elle s’affirme aujourd’hui en tant que réalité territoriale et force démographique et économique décisive pour le développement national. Casablanca, grande ville du pays en est la principale illustration.

En accédant à l’Indépendance en 1956, le Maroc a hérité d’un axe urbain sur le littoral atlantique de Kénitra à Casablanca concentrant l’essentiel de l’activité économique moderne et une grande partie de la population.

Fait majeur de la géographie marocaine au XXème Siècle, la suprématie de cette zone comme espace d’investissements et d’échanges par excellence va toujours continuer à marquer le territoire avec Casablanca comme nœud central.

Entre 1960 et 2014 (Période des recensements depuis l’Indépendance), la population urbaine du Grand Casablanca a plus que quadruplé passant de 1 à 4,05 millions de personnes. Sa part dans la population urbaine totale est passée de 29,5 à 20%. Dans cette évolution, le nombre total des habitants est passé de 1,1 à 4,3 millions d’habitants soit 12,6% de la population nationale. Au cours des deux dernières décennies, cette croissance a surtout profité aux zones péri-urbaines qui ont vu leur population rapidement augmenter avec des taux de 5 à 15% par an. Le processus de dédensification du centre vers la couronne périphérique est largement engagé.

En l’espace d’une vingtaine d’années, l’extension urbaine totale a été de l’ordre d’un millier d’hectares (SDAU 2010), elle s’est surtout opérée en périphérie, imprimant un étalement urbain continu ; plus de la moitié de l’espace urbanisé se situe désormais hors de la ville.

Les reconfigurations spatiales qui découlent de ces dynamiques sont pour une large part liées à l’intensification des mobilités de populations et d’activités ainsi qu’à leur changement de nature. Les politiques publiques définies par l’Etat et mises en œuvre par les acteurs locaux sont directement responsables de ces transformations.

A la suite de la Réforme Régionale adoptée en 2015, le territoire casablancais a été profondément remanié. La nouvelle Région Casablanca-Settat (carte) englobe désormais 9 préfectures et provinces et 169 communes territoriales et arrondissements urbains ; elle regroupe une population de près de 7 millions de personnes sur 2,7% du territoire national. Ainsi, le un cinquième de la population marocaine et près du quart de la population urbaine y habite.

  La nouvelle région est aujourd’hui majoritairement urbaine (73,7%), les deux tiers des citadins résident à Casablanca (3,6 millions d’habitants). Toutefois, elle comprend désormais de vastes territoires ruraux marqués par des disparités socio-économiques très fortes. C’est une situation nouvelle qui modifie profondément le paysage de cette Région-Métropole. (fig 2)  

(Fig 2 : les composantes territoriales de la  Région Casablanca-Settat (2015

L’un des enjeux futurs réside ainsi, dans la capacité de mise à niveau et d’entrainement de ces territoires dans une dynamique de croissance réelle. Casablanca, jadis métropole à l’étroit, pourrait tirer meilleur parti de son territoire élargi en renforçant les liens de complémentarité avec les espaces ruraux à travers un meilleur ciblage des projets d’investissements. C’est l’une des principales orientations du nouveau plan de développement de la Région (PDR) adopté en 2017.

B. Une économie puissante en profonde mutation

La nouvelle Région produit près du tiers du PIB National (32,4%). Cette puissance économique repose largement sur la métropole casablancaise qui à elle seule, en assure 29%. Ce sont les secteurs de l’industrie et du tertiaire qui produisent cette richesse. L’activité de l’industrie demeure l’une des fonctions maîtresses de Casablanca et de sa région. Son développement a toujours été un puissant catalyseur de la croissance urbaine de la métropole et des mutations socio-spatiales qui la traversent. En fait, le Grand Casablanca reste le foyer industriel par excellence au Maroc, l’essentiel du savoir-faire, de la conception et de la haute technologie industrielle y est implanté. L’économie industrielle de la métropole est en mutation profonde. Elle s’est tournée vers des métiers nouveaux davantage créateurs de richesses et de valeur ajoutée, tel que l’automobile, la métallurgie, l’agro-alimentaire, l’électronique et l’aéronautique à travers l’écosystème aéronautique de Nouaceur et MIDPARC Free Zone, plate-forme industrielle intégrée. Ces atouts lui ont permis d’attirer au cours de la dernière décennie près de 100 sociétés représentant 80% du tissu aéronautique national.

Elle regroupe près de la moitié de l’emploi industriel, assure les deux tiers de la production et plus de la moitié des exportations de l’industrie nationale.

Au point de vue spatial, le développement de l’industrie a fortement marqué le territoire du Grand Casablanca. Il a induit une large diffusion des entreprises dans l’aire urbaine et en périphérie rurale, à la faveur d’un intense mouvement de délocalisation engagé au cours des trois dernières décennies. La forte dynamique de la grande ville, conjuguée à la mise en œuvre incomplète des orientations des documents d’urbanisme (SDAU 1984) et à la spéculation qui a accompagné l’occupation du sol ont entrainé le report de la demande foncière industrielle et du logement ouvrier sur d’autres territoires non urbanisés. Des centaines d’usines ont ainsi migré vers la périphérie entrainant le transfert de milliers d’emplois et la multiplication des friches au sein des tissus industriels anciens (Près de mille hectares) ainsi que l’apparition de zones d’activités informelles et non réglementaires aux marges de la ville (SOFA 2007). On estime à près de 60 000, le nombre de familles qui ont quitté la ville vers la périphérie sous l’effet du desserrement et de la délocalisation des activités (SDAU 2010).

C. Une offre métropolitaine renforcée 

Casablanca, cet organisme densément peuplé, démesurément urbanisé et économiquement dynamique est de plus en plus le centre vital du pays, l’espace vers lequel tout converge : hommes, biens, capitaux, flux de transports et de communication. Mais c’est aussi le pôle à partir duquel sont diffusées les grandes décisions économiques, les financements, les ordres, le grand commerce et s’organisent les liaisons avec le reste du territoire national et le monde. Dans la compétition mondiale, Casablanca a l’avantage d’une situation géographique attractive sur laquelle elle doit capitaliser pour un meilleur positionnement à l’international.

Bien que beaucoup de grands projets structurants attendent leur concrétisation, Casablanca a renforcé ses deux dernières décennies sa position de métropole de commandement de l’économie nationale. Elle est aujourd’hui au cœur de tous les systèmes de communication portuaire, routier, ferroviaire, aérien, télécommunicationnel, financier et industriel et constitue le centre quasi-unique des services à usage de l’économie moderne.

Plaque tournante du trafic aérien avec le monde, la nouvelle configuration territoriale permet à la région casablancaise de disposer du premier complexe portuaire national, avec les trois ports spécialisés du Pays : Casablanca, Mohammadia, Jorf Lasfar, assurant les trois quart du trafic global.

En attendant le déplacement du phosphate brut vers Jorf Lasfar, l’un des principaux défis de la fonction portuaire de Casablanca est la croissance constante du trafic des containers qui pose des problèmes sérieux en matière de stockage à l’intérieur de l’enceinte du port comme à ses abords. Selon les projections du SDAU de 2010, cette croissance devra se poursuivre selon un rythme de 7 à 10% par an.

Par ailleurs, il faut souligner que toutes les composantes de la nouvelle région métropole sont aujourd’hui desservies par un réseau routier, autoroutier et ferroviaire très dense et de qualité. Le premier train à grande vitesse (TGV) mis en circulation en Afrique a été inauguré en Novembre 2018 au Maroc. Baptisé AL BORAQ, il relie Tanger à Casablanca en 2h10 min (la liaison s’effectuait auparavant en 4h45min et pouvait durer jusqu’à 6h). (Fig 3)

Fig 3: Al Boraq : Train à Grande Vitesse marocain

Une année après sa mise en service, le TGV a transporté 2,5 millions de passagers, assuré 14 liaisons aller-retour quotidiennes entre Tanger et Casablanca avec un taux moyen de remplissage de 70%. Ce nouveau projet structurant a profondément modifié la mobilité dans le Nord du Pays et aussi sans doute les rapports économiques et spatiaux entre les deux métropoles du Pays (J.F. TROIN, 2020).

« Le premier semestre de l’exercice 2019 a été marqué par la mise en exploitation de grands projets structurants. C’est le cas du train à grande vitesse AlBoraq, du triplement de l’axe ferroviaire Casablanca-Kénitra sur 130 kilomètres, du doublement complet de la ligne Casablanca-Marrakech sur 170 Kilomètres et de l’ouverture de gares nouvelle génération à Tanger, Kénitra, Rabat-Agdal, Casablanca-Voyageur, Ben Guerir et Oujda. » (rapport ONCF, 2019)

La convergence de tous ces réseaux de communication est renforcée par un pouvoir de commandement économique quasi-exclusif : commerce, services aux entreprises, finance, sièges sociaux industriels…… La fonction de direction des activités financières est totalement assurée par l’agglomération. Tous les services et organismes financiers à rayon d’action national, tous les sièges sociaux de banques privées, de compagnies d’assurances et d’organismes de crédits se localisent au cœur de la cité casablancaise. Récemment, et afin de renforcer le rôle international de Casablanca, la priorité a été accordée par l’Etat au développement d’un pôle financier international, tourné essentiellement vers le marché africain. C’est ainsi qu’est née Casablanca-Finance-City (CFC), un projet de place financière de grande envergure installé à l’emplacement de l’ancien aéroport d’Anfa et qui enregistre déjà un développement prometteur.

Avec la forte concentration des fonctions métropolitaines et leurs mutations profondes enregistrées ces dernières années, Casablanca dispose des moyens pour négocier son virage vers un futur prometteur d’une métropole internationale en devenir.

D. Atouts et opportunité de positionnement futur du Grand Casablanca

Dans le monde actuel, la compétitivité d’un pays dépend en premier lieu de l’efficacité de ses métropoles.( SOFA, 2007) La région de Casablanca offre au Maroc un potentiel métropolitain de qualité. La question qui se pose est comment lui permettre de renforcer son rôle d’attraction de l’économie nationale. En effet, le potentiel de la première région métropole lui ouvre, pour les décennies à venir, de nouvelles perspectives de développement et de positionnement à l’international qui devront être prises en considération dans le projet de la métropole de demain, afin qu’elle s’inscrive dans la compétition mondiale. Elle est, en effet, la seule grande ville du pays capable de rivaliser avec les places concurrentes au Maghreb et en l’Afrique. Les perspectives économiques et de coopération qui s’ouvrent dans le cadre de la mondialisation et toutes les réformes engagées par le pays ainsi que les avantages comparatifs avec d’autres grandes villes, lui permettent d’ambitionner de jouer un rôle de plate-forme économique et d’investissements pour le marché mondial.

Par ailleurs, sa position au cœur de la nouvelle grande Région est un autre atout stratégique et une formidable opportunité pour tous les territoires qui l’entourent.

Ainsi, la position nationale et régionale de Casablanca lui confère les moyens pour être une métropole performante. Le dynamisme de sa population et la diversification de son économie, sa forte attractivité, ces centres de formation et de recherche de haut niveau sont des facteurs et des potentialités qu’il faut valoriser. Ce territoire exceptionnel est en phase de devenir le principal espace métropolitain du Maroc. Son développement revêt un intérêt prioritaire et appelle de nouvelles politiques d’aménagement et de gouvernance.

II – Des dysfonctionnements qui persistent et un potentiel insuffisamment mis en valeur

D’importants efforts ont été déployés au cours des dernières années pour rattraper les retards de Casablanca et mettre à niveau ses composantes territoriales. Toutefois, les défis à relever demeurent nombreux pour que Casablanca et sa région accèdent au rang des métropoles mondiales.

Le territoire casablancais qui a toujours bénéficié d’une attention particulière de la part des décideurs, est aujourd’hui la région la mieux couverte par les études de planification stratégique et sectorielle. Plus de 240 études couvrant des domaines divers ont été élaborées au cours des deux dernières décennies.

L’existence de cette diversité d’études étalées dans le temps peut paraître un atout pour la conduite des affaires de la métropole dans la mesure où les problématiques de son développement paraissent bien cernées et les recommandations de leur dépassement bien définies. Ces études ont en effet, concerné les différentes échelles du territoire régional (métropole, aire métropolitaine, région, provinces, préfectures et communes).

A titre d’exemple, en matière d’aménagement du territoire, la région a bénéficié de sept études stratégiques tels que le SNAT, le SOFA (Schéma d’organisation fonctionnel et d’aménagement de l’aire métropolitaine centrale Casablanca-Rabat), deux schémas régionaux d’aménagement du territoire, un PDU (Plan de déplacements urbain), un PDR (Plan de développement régional) et un PDGC (Plan de développement du Grand Casablanca 2015-2020).

Avec les documents de planification urbaine (SDAU et PA), toutes ces études proposent des options de développement des territoires de la région pour une période de 5 à 25 ans. Leur élaboration a évidemment demandé beaucoup de temps et mobilisé des budgets importants. Le PDR et le SRAT, deux études d’aménagement lancées récemment par la région ont coûté, à eux seuls, 25 millions de Dirhams soit environ deux millions d’euros.

Une observation s’impose toutefois, si la région peut paraître bien armée en matière de connaissances et d’analyses territoriales, chaque administration contribue par son lot d’analyses et de diagnostics, le degré d’exploitation de ce savoir reste très en deçà des attentes car nombreuses sont les études qui restent dans les tiroirs.

A quoi servent les recommandations d’études et de plans stratégiques, si elles ne sont pas traduites en projets et mises en œuvre dans les faits ? Un temps précieux sépare les intentions des concrétisations, ce qui pose le problème de la gouvernance du développement de la métropole.

L’étalement urbain et la métropolisation croissante du Grand Casablanca couvrent une réalité faite de disparités et d’inégalités qui appellent de nouvelles réponses en termes d’équipements et de coordination des acteurs.

Les maux dont souffre la métropole nationale encore aujourd’hui sont largement diagnostiqués par les études depuis près de deux décennies.

A. Grands déficits en infrastructures urbaines

Comme nous l’avons souligné auparavant, Casablanca se déverse sur ses marges sous la pression de multiples dynamiques. Jusqu’au début des années 2000, les extensions urbaines dans la périphérie sont essentiellement anarchiques. Elles prennent des formes diverses : Bidonvilles, habitat non réglementaire, Hangar et dépôts, zones d’activités de fait, constructions dispersées, engageant irrémédiablement le mitage de l’espace agricole.

Jusque-là, ces extensions n’obéissant à aucun cadre réglementaire vont se renforcer après 2004,   à la faveur des actions   engagées par les pouvoirs publics pour lutter contre l’habitat  insalubre (Programme ville sans bidonvilles, traitement de l’habitat menaçant ruine, réhabilitation de l’Ancienne Médina, Programmes de logement social). Des milliers de ménages sont déplacés ou en cours de déplacement dans de nouveaux quartiers d’habitation.

Fig 4 : Principaux sites d’accueil des opérations de  relogement des bidonvillois – Source : Al Omrane Grand Casa 2013

Dans la plupart des cas, ces nouveaux ensembles se trouvent isolés des infrastructures et des réseaux de connexion à l’espace urbain. La croissance urbaine de la dernière décennie n’a pas été accompagnée d’une augmentation d’investissement en infrastructure et d’une amélioration de la qualité des services de proximité. (fig 4–5)

Fig5 : Source A.KAIOUA, 2014

Sous la pression, les efforts se sont focalisés sur la construction de logements ou l’attribution de lots, l’assiette urbaine nécessaire est différée à plus tard. Le taux de réalisation des équipements collectifs projetés varie en moyenne entre 25 et 30% selon les études d’évaluation d’Al OMRANE. Ceci pose la question de la capacité des choix adoptés par la puissance publique à faciliter l’intégration des populations dans leur nouvel espace de vie. L’essentiel de la croissance démographique de la métropole se réalisera dans les territoires périphériques.( Fig 6) La réalisation d’équipements suffisants est l’un des grands défis à relever pour garantir l’équité territoriale et atténuer les disparités.

Fig 6 : Projection de la population du grand Casablanca à l’Horizon 2030
Source : SDAU 2010, Agence Urbaine de Casablanca

B. La maitrise de la croissance urbaine, un défi majeur

Les fortes concentrations de populations et d’activités se sont traduites par une impressionnante extension et diversification des espaces urbanisés. Le SDAU du grand Casablanca révisé en 2014 estime la surface urbanisée à plus de 22 000 hectares.

Toujours plus forte, la pression de la demande fait que l’essentiel de cette croissance se fait au gré de l’opportunité foncière. La plupart des extensions nouvelles sont alors le fruit de dérogations aux documents d’urbanisme (73% des projets de logement social). Malgré le ralentissement de la croissance démographique constaté au cours des derniers recensements, la croissance urbaine est alimentée par un exode rural continu et encouragée par l’absence d’une politique urbaine rigoureuse. Les extensions subies ou réglementées sans anticipation font peser une pression constante qui se traduit par une augmentation continue des besoins en terrains et en financement des infrastructures.

Les choix publics sont souvent décidés dans l’urgence, sans réelle coordination entre les divers acteurs sont aussi un facteur d’aggravation de la situation. Ils s’opèrent en priorité sur les réserves foncières publiques.

A l’horizon 2030, les besoins nouveaux en foncier pour la croissance urbaine et le développement des activités du Grand Casablanca sont estimés par le SDAU à 25 000 hectares. Cette perspective d‘ouvrir autant de surfaces à l’urbanisation soulève la question de la maîtrise du foncier dans la région métropole. Une partie de ces superficies est déjà consommée pour accueillir des programmes « imposés par la conjoncture ».

La réserve en terrains publics est aujourd’hui quasiment épuisée et la grande ville est bloquée sur le plan foncier car elle reste à la merci des spéculateurs. Il devient impératif de la doter des outils adéquats de maîtrise du développement de son territoire. La nouvelle configuration régionale offre une opportunité réelle aux responsables locaux d’anticiper le futur sur la base d’une stratégie d’urbanisation nouvelle, dotée en moyens techniques, financiers et en compétences, permettant de maîtriser la croissance urbaine de la métropole plutôt que de la subir.

C. Un système de transport en commun à renforcer

Au cœur de l’aire urbaine, Casablanca est le point nodal de transport et de communication du pays. Mais le système de transport urbain interne continue d’afficher de larges déficiences. Pendant longtemps, les tentatives d’amélioration de ce système ont privilégié des solutions techniques à court terme (délégation du secteur à une multitude de sociétés privées) incapables d’accompagner les profonds changements socio-spatiaux en cours dans la grande ville.

Face à la progression importante des déplacements (11 millions par jour tous modes confondus et 13 à 15 millions projetés à l’horizon 2030), le SDAU a proposé de concentrer les efforts pour offrir à la métropole un réseau de transports de masse plus performant. Ceci permettra de répondre aux enjeux futurs de son développement et de limiter l’usage de la voiture et ses impacts négatifs. En effet, le défi des déplacements vient moins de la progression de la mobilité que de l’augmentation de la part de la voiture dans les déplacements. Compte tenu des prévisions de l’augmentation du nombre des ménages (deux fois plus rapide que la croissance démographique annuelle, soit environ 30 000 ménages par an), le parc automobile passerait de 320 000 véhicules à 1,3 millions en 2030, soit une multiplication par 4 selon les projections des documents d’urbanisme.

L’une des urgences aujourd’hui est de résoudre ce problème majeur dans une métropole qui change perpétuellement de dimension.

Des actions sont mises en oeuvre depuis quelques années (lignes de tramway, voie express, passages souterrains).(Fig 7) Toutefois, l’offre de transport public de masse ne concerne que le tiers des déplacements quotidiens et ne couvre qu’une partie du territoire de la métropole. La congestion routière menace l’agglomération.  

Fig 7 : le TRAM de Casablanca (Cliché JF TROIN,2019)

Les options de la planification stratégique élaborées au cours de la décennie deux mille préconisaient la mise en place d’un système mixte : RER assurant le transport au niveau de l’ensemble des composantes territoriales, notamment les zones d’extension en périphérie et le site propre (Tram-bus) couvrant l’espace urbain interne dans les zones denses. (Fig 8) Elles demeurent des choix pertinents et structurants dont il faut accélérer la concrétisation.  

Fig 8 : Réseau Tram-Bus dans le Grand Casablanca (Horizon 2023) – Source : Casa-Transport, 2019

La réponse aux problématiques de la mobilité au sein du Grand Casablanca doit être complétée par le renforcement du réseau routier en périphérie et la mise en place d’un plan de circulation et de stationnement performant. Le plan stratégique du développement du grand Casablanca (PDGC) a réservé pour le secteur du transport public de masse la moitié de l’enveloppe budgétaire globale prévue soit 16 milliards de DH. Ce plan a été présenté et des conventions pour sa mise en œuvre signées devant le Roi en Septembre 2014. Il a été élaboré à la suite du discours royal prononcé à l’ouverture de la session du Parlement en Octobre 2013 et qui avait mis en évidence les carences et les dysfonctionnements de la métropole nationale particulièrement en matière de gouvernance.

D. Institutions et gouvernance : un défi sans cesse renouvelé

La crise de gestion des territoires est devenue au Maroc une crise économique et sociale, ceci concerne en premier lieu Casablanca. Cette défaillance, mise en évidence par les différentes études est jugée responsable des difficultés de fonctionnement de la grande ville et de l’insuffisance de sa croissance.

Avec la multiplicité des acteurs, les contradictions de leur logique d’intervention et la diversité des conflits d’intérêts, le système de gestion de la métropole n’a pas permis à aujourd’hui, l’émergence d’une vision de développement mobilisatrice des énergies et la construction d’un projet intégratif de toutes les composantes de la société. Pendant plus de quarante ans, Casablanca s’est transformée en laboratoire national d’expérimentation de modèles de gestion territoriale à la recherche d’un système lui permettant de mieux fonctionner dans la durée et de faire face aux multiples enjeux de son développement. Nous sommes en face d’un cas d’école plein d’enseignements en matière de la planification et de la gestion du développement. Nous assistons à un renouvellement perpétuel des instances sans cumul positif sur le territoire et la société.

En dépit d’une inflation d’entités qui interviennent dans la gestion de la ville et de sa région, celle-ci accumule des retards et des dysfonctionnements qui sont à l’origine du freinage général de son efficacité urbaine. Cette situation paradoxale qui s’apparente à l’absence de véritable pilote dans la ville a fait l’objet d’un intérêt particulier de la part du souverain lors de son discours d’ouverture de la première cession de la quatrième année législative, le 11 Octobre 2013 :

« …mais pourquoi cette ville, qui compte parmi les plus riches du Maroc, ne connaît-elle pas concrètement l’essor auquel aspirent les casablancaises et les casablancais à l’instar d’autres villes…. »

« … Est-il raisonnable qu’elle reste à ce point un espace de grandes contradictions, jusqu’à devenir l’un des modèles les plus faibles en matière de gestion territoriale ?

….En un mot, le problème dont souffre la capitale économique tient essentiellement à un déficit de gouvernance. »

Depuis près d’un demi-siècle, Casablanca est en effet à la recherche d’un modèle de gestion efficient. On peut dire que celle-ci a commencé au milieu des années soixante-dix quand les pouvoirs publics avaient décidé de doter Casablanca d’un régime administratif spécial pour « plus d’efficacité dans la gestion des affaires de la ville ». La crise qui frappait la ville qui n’avait plus le pouvoir absorbant et intégrateur de sa population rendait l’amélioration de sa gestion d’une extrême urgence.

C’est ainsi qu’à l’occasion de l’adoption de la Charte Communale du 30 Septembre 1976, régissant l’organisation administrative et financière des collectivités locales, et qui a opéré un nouveau partage des attributions entre le corps élu et les autorités administratives, Casablanca a été divisée en cinq communes urbaines à la place d’une seule municipalité. (Fig 9)      

Fig 9 : Les cinq communes urbaines de Casablanca en 1976
Source : Atlas de la Wilaya du Grand Casablanca Faculté des lettres Aïn Chock, 1988

C’est un véritable tournant dans l’évolution des institutions de la ville qui   bénéficient désormais de l’élargissement et de la précision de leurs prérogatives. Cette charte communale a été saluée comme un progrès significatif sur la voie de la démocratie locale. Les cinq communes étaient coiffées par une entité de coordination et de gestion des services communs exigeants des solutions intercommunales, il s’agit de la communauté urbaine de Casablanca, créée à cette occasion.

A sa mise en place, cette nouvelle organisation avait suscité beaucoup d’espoirs. Elle a permis d’enregistrer des avancées intéressantes dans l’encadrement et la prise en charge des problèmes de la ville, notamment dans les municipalités dirigées par l’opposition. (Aïn Diab).

Néanmoins, les pouvoirs respectifs de ces nouvelles instances n’ayant pas été bien précisés et délimités, les difficultés ne manqueront pas de surgir. (B. ZIANI, 1987) Cette expérience ne durera que cinq années, les évènements de 1981 vont accélérer la prise de conscience de la profondeur des problèmes de Casablanca et l’engagement des pouvoirs publics par une prise en main durable de ses affaires. La décennie quatre-vingt sera celle du lancement d’un mouvement, périodiquement renouvelé, de refonte des structures de gestions administratives et techniques.

Un double processus a en effet affecté depuis Juin 1981, à la fois, les structures de l’administration territoriale et celles de l’organisation municipale, de cinq préfectures en 1981, le territoire du grand Casablanca est passé à neuf en 2002 avec l’apparition d’une structure supérieure de coordination : la Wilaya du Grand Casablanca.

Cette opération de restructuration territoriale est accompagnée d’une refonte totale des entités communales. Désormais, le territoire de la Wilaya dispose en 2002 d’un vaste réseau composé de 35 Communes.

Cette extrême division de l’espace a été accompagné aussi au début des années quatre-vingt par une décision de doter Casablanca de son troisième plan d’urbanisme depuis le début du Siècle, le SDAU, afin de maîtriser son urbanisation et d’apporter les solutions aux problèmes de développement qui s’étaient accumulés depuis des années.

La multiplication des centres de décisions, consécutives à la refonte de structures et l’augmentation du nombre d’intervenants ont imposé la mise en place d’une entité technique chargée du contrôle du développement urbain de la métropole. C’est ainsi que la première Agence Urbaine au Maroc fut créée à Casablanca en Octobre 1984. Placée sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur, elle est dirigée par un Gouverneur-Directeur Général. (Fig 10)

Fig 10 : Les outils de la gouvernance instutionnelle du Grand Casablanca en 2002  Source : A.KAIOUA, 2016

Cette profonde révision traduisait un certain concept de l’autorité, mettant en avant les préoccupations sécuritaires de l’encadrement des territoires. L’expérience, qui a duré près de vingt ans, a eu quelques aspects positifs : rapprochement de l’administration des citoyens, apparition d’une nouvelle élite d’élus et de gestionnaires de la chose publique (le grand Casablanca comptait à cette époque 1100 élus). Ce nombre important favorisait-il l’efficacité attendue de l’action des communes ? Le bilan établi à l’issue de l’expérience était plutôt en deçà des objectifs.

L’augmentation du nombre des communes avait pour objectif non avoué d’en limiter le rayonnement politique et l’efficacité de gestion de telle sorte « qu’aucune force organisée politiquement ne puisse avoir une quelconque prépondérance au niveau de l’ensemble de l’agglomération » (M. NACIRI, 2000)

La réalité du pouvoir communal va être détenue à partir des années quatre-vingt par l’administration territoriale représentée par le Wali.

Malgré la centralisation du pouvoir et la grande segmentation de l’espace, les autorités locales se sont trouvées dans l’incapacité de répondre aux attentes d’un territoire en extension rapide.

Il est intéressant de souligner que tous ces changements introduits dans le système de gestion du territoire casablancais ont été par la suite généralisés à toutes les grandes villes du Pays : Casablanca a toujours servi de laboratoire d’expérimentation.

Avec la décennie deux mille, une autre étape de recherche d’un système performant de gestion des affaires de Casablanca va s’ouvrir.

Le discours royal, prononcé à Casablanca le 12 0ctobre 1999, a été consacré au nouveau concept de l’autorité. « Notre administration territoriale se doit d’axer son intérêt sur des domaines qui revêtent désormais une importance particulière et un caractère prioritaire telles que la protection de l’environnement et l’action sociale, et de mobiliser tous les moyens afin d’intégrer les couches défavorisées au sein de la société et d’assurer leur dignité. »

Ce discours avait engagé le gouvernement à mettre en œuvre des réformes permettant d’enrichir le processus de décentralisation dans le pays.

A la fin 2002, une nouvelle charte communale est ainsi adoptée. Parmi les revendications longtemps exprimées, le régime de la communauté urbaine qui régissait les grandes villes est remplacé par celui d’un Conseil Unique de la ville. La gestion territoriale de Casablanca est à nouveau unifiée à partir de Septembre 2003. On est passé de la Communauté Urbaine à la Commune Urbaine à la recherche d’une unité de la ville. Tout le dispositif de commandement de l’aire métropolitaine a été remodelé. L’administration territoriale a été fortement réorganisée. (Fig 11) Les neuf anciennes préfectures du Grand Casablanca ont laissé la place à deux préfectures (Casablanca et Mohammadia) et à deux provinces nouvellement créées en 2003 (Nouaceur et Médiouna). Mais, cette réorganisation a introduit un nouvel échelon administratif appliqué exclusivement à Casablanca. Il s’agit des préfectures d’arrondissement. La préfecture de Casablanca a été subdivisée en huit préfectures d’arrondissement dirigées par des gouverneurs sous l’autorité du Wali de Région, gouverneur de Casablanca.

Du point de vue communal, l’adoption du système de l’unité de la ville a refondu l’ancienne organisation en une seule commune urbaine composée de seize arrondissements qui sont représentés au niveau du conseil de la ville par leurs présidents.

Fig 11 : Les composantes territoriales du Grand Casablanca en 2003
Source : Inspection Régionale de l’aménagement du territoire du Grand Casablanca

Le Grand Casablanca est désormais dirigé par douze gouverneurs et un Wali et est composé de trente-neuf collectivités territoriales. (Fig 12) Cette réorganisation a enclenché, en même temps, un  étoffement  des structures techniques de planification et d’exécution.

Fig 12 : Instances de la gouvernance institutionnelle du Grand Casablanca 2015
Source : A.KAIOUA, 2016

Ainsi, à la veille de l’introduction de la régionalisation avancée, 115 entités composaient les institutions principales de gouvernance du Grand Casablanca. (Fig 13).  

Face aux multiples défis à relever, la complexité du cadre de gouvernance institutionnel ne facilite pas l’efficacité   de l’action publique à Casablanca. Elle est source de dysfonctionnements majeurs  et  de   beaucoup gâchis. La coordination efficace entre tous les niveaux de décisions à l’échelle du territoire casablancais est de plus en plus primordiale.

Fig 13 : Etablissements techniques de planification et de gestion (2015)
Source : A.KAIOUA, 2016

Casablanca, capitale de l’aire métropolitaine doit disposer des outils adéquats, capables de maîtriser la croissance, d’anticiper l’urbanisation et de lutter contre l’illégalité urbaine. C’est le défi à relever en priorité par tous les acteurs.

L’appel royal d’Octobre 2013 a tracé le cadre pour lui permettre de disposer d’un modèle de gestion à la hauteur de ses ambitions, pour vaincre ses blocages, capitaliser ses acquis et asseoir un nouveau modèle de développement durable, intégrateur et résilient.

Il devient indispensable de marquer une rupture avec les modes de gouvernance qui ont prévalu jusqu’à présent. La nouvelle configuration territoriale créée par la régionalisation avancée offre beaucoup d’opportunités pour projeter Casablanca dans l’avenir.

Les réponses aux défis des territoires de la métropole dans les domaines d’emplois, d’accès aux services collectifs, de développement économique et de durabilité environnementale se posent aujourd’hui en termes de conciliation des exigences de l’équité sociale avec les impératifs de l’efficacité économique. Ceci requiert une révolution dans les modes d’intervention à différentes échelles afin de mettre en synergie les programmes de développement de l’ensemble des acteurs et les aspirations des différentes couches de la société.

III – Nouveau Modèle de Développement et futur du territoire casablancais : Moderniser l’offre métropolitaine.

En matière de développement de Casablanca et de son espace métropolitain, nous sommes à la croisée des chemins. C’est peut-être le moment d’opérer des choix pertinents pour enfin lever les obstacles qui empêchent ce territoire exceptionnel d’évoluer normalement. Ce projet d’envergure  ne peut être porté que par les pouvoirs publics, car les liens entre le développement de Casablanca et le reste du pays demeurent très étroits.

En cette période de crise sanitaire qui impose une remise en cause de la manière de faire les politiques publiques pour le bien-être de tous, la réflexion sur le modèle de développement futur de Casablanca est prioritaire.

Le cadre de cette réflexion est tracé depuis déjà longtemps par les multiples schémas d’aménagement de territoire et de développement urbain. L’élargissement du territoire métropolitain et les orientations royales relatives au devenir de Casablanca et le rôle de celle-ci dans le futur modèle de développement de la nation en préparation, sont autant de facteurs encourageants à l’engagement collectif pour relever le défi de la réussite des ambitions de Casablanca, métropole internationale, attractive pour le développement du pays, inclusive et solidaire pour ses habitants.

L’engagement collectif doit partir de l’identification des entraves et des forces qui empêchent la marche continue de l’amélioration et de l’articulation de la ville pour qu’elle devienne une puissance en Afrique et au Maghreb. Il doit conduire à la construction du projet métropolitain de la région auquel adhèrent collectivement toutes les parties prenantes.

A. Nouveau modèle et développement régional : améliorer les outils de l’action sur le territoire

L’analyse de la situation de la métropole et de sa région interpelle fortement les politiques publiques et les acteurs en charge de leur mise en œuvre. Les développements précédents ont montré le foisonnement de rapports, d’études et de stratégies concernant le territoire. L’élaboration des stratégies territoriales, à différentes échelles, est un passage obligé pour tracer les voies du développement. Néanmoins, ces stratégies ne peuvent produire l’effet escompté si elles ne s’intègrent pas dans un processus d’articulation mettant en perspective les orientations de développement au niveau des territoires.

Depuis le milieu des années deux mille, Casablanca a initié de multiples stratégies sans pour autant réussir cette articulation nécessaire à la cohérence de l’intervention publique. Dans le cas de la métropole, cette articulation entre les différents niveaux de planification (SNAT, SRAT, SOFA, PDR, PDGC, SDAU), appelle l’implication et la responsabilisation de tous les acteurs. C’est une culture de la pratique publique et une première action vers la bonne gouvernance qui sans doute permettront de faire évoluer les politiques dans les territoires.

Aujourd’hui la ville et son espace périphérique sont devenus le cadre de l’intervention des acteurs. Le développement économique et social et la réussite de la cohésion des territoires sont de plus en plus au cœur de la mission de la puissance publique. L’élaboration du projet de développement mais surtout l’amélioration des instruments indispensables à sa mise en œuvre deviennent aussi une priorité.

Le constat établi fait ressortir le maigre bilan d’exécution des ambitions affichées par les différents niveaux de la planification et le grand retard dans la concrétisation des projets. L’offre globale en infrastructures et en équipements collectifs est largement en deçà des attentes des populations, aggravée par des disparités importantes en matière d’implantation territoriale.

La non-réalisation des projets à temps ou dans les normes acquises n’incombe pas toujours aux seuls administrations en charge ou aux élus mais aussi aux autres forces socio-économiques. L’administration n’assure pas suffisamment son rôle de régulateur et d’évaluateur, par manque de concertation ou de persuasion. En l’absence de l’instrument de régulation foncière, le laisser-faire de la spéculation sur les terrains industriels ou résidentiels sans respect des plans et sans contre-parti témoigne de ces faiblesses qui font penser à l’existence de visions contradictoires et de logiques antagonistes pour conduire la croissance des territoires de Casablanca.

L’analyse de la production scientifique et de la banque de propositions faites par toutes les études depuis deux décennies et la nature et l’envergure des projets effectivement réalisés ou en cours de réalisation à Casablanca, font apparaitre, par ailleurs, un décalage entre l’action des acteurs locaux et l’ambition affichée par en haut lieu pour la métropole.

De nombreuses actions majeures contribuant à la construction effective du projet métropolitain et tirant Casablanca vers le haut, sont l’œuvre d’une volonté royale (restructuration du port, tramway, TGV, place financière, Grand Théâtre, sauvegarde du patrimoine et réhabilitation de l’ancienne médina, aménagement de la corniche, zone d’activité nouvelle génération…)

La réponse aux besoins immédiats et futurs des territoires casablancais doit reposer sur une démarche prospective et participative en amont de la planification, anticipant l’importance et la qualité de l’offre ainsi que les moyens financiers et techniques de mise en œuvre.

Ceci soulève une autre dimension importante de l’action sur le territoire métropolitain, celle de sa connaissance et le suivi du son évolution.

La construction d’un dispositif d’informations territorialisées sur la métropole, basée sur la collecte de données fiables, fines, actualisées et partagées, devient aujourd’hui une nécessité pour mieux penser, gérer et mieux développer les territoires. Casablanca doit se doter de son observatoire scientifique, indépendant et de haut niveau de compétences, pour comprendre les mutations profondes qui traversent l’espace et la société et apporter les réponses en mesure de corriger les disparités et d’optimiser les opportunités.

Cette connaissance maîtrisée des évolutions territoriales doit être perçue par les décideurs comme un outil d’évaluation et de correction des politiques publiques favorisant un véritable développement de la région métropole.

Dans cette perspective, l’observation continue du territoire doit accorder un intérêt particulier à l’organisation de l’information permettant d’analyser les dynamiques en cours à travers notamment l’amélioration des connaissances sur la métropolisation, sur le devenir des territoires ruraux et sur l’accès au numérique, devenus aujourd’hui prioritaire et indispensable.

B. Réussir l’articulation entre la métropole et la région

Le fait métropolitain est aujourd’hui une réalité à Casablanca. C’est un défi majeur à relever mais aussi des opportunités nouvelles à saisir. C’est un défi, parce qu’il illustre les problématiques de la coexistence, sur un même territoire, de grands succès et de disparités majeures. C’est un espace d’opportunités parce qu’il offre de multiples avantages de dépassement des inégalités et de réussite des ambitions.

A l’intérieur de la nouvelle région Casablanca-Settat, les études effectuées dans le Grand Casablanca, ont permis la délimitation d’un espace métropolitain qui se développe en tant que bassin de vie et d’emplois (OCDE, 20018). (Fig 14)

Fig 14 : Aire urbaine fonctionnelle de Casablanca (estimation OCDE, 2018)

Selon les estimations de ces études, cet espace métropolitain couvre une zone légèrement plus grande que l’ancienne région du Grand Casablanca ; il abrite 5 millions d’habitants soit environ 15% de la population marocaine et 73% de celle de la région élargie.

Cette nouvelle donne appelle aujourd’hui la réussite de l’articulation entre territoire régional, espace métropolitain et ville de Casablanca, par l’adoption d’instruments innovants en matière de planification et de gestion.

Les évolutions récentes enregistrées qu’a connues le paysage institutionnel et opérationnel offre des possibilités de rationalisation de l’action des acteurs.

Deux axes majeurs peuvent encadrer cette démarche :

-La construction de la stratégie de développement métropolitain à travers l’espace régional comme cadre pertinent de développement.

-La mutation du cadre de gouvernance territoriale en capitalisant sur l’expérience accumulée dans ce domaine.

La construction du projet métropolitain de Casablanca doit se réaliser dans le cadre d’une vision partagée, articulée autour de projets structurants programmés par les différents plans adoptés ses dernières années.

Parmi les chantiers ouverts et qui ont un impact lourd sur l’inclusion des territoires de la région et de la métropole, celui du transport et de la gestion de la mobilité. Des progrès importants ont été accomplis depuis le lancement du Plan de Déplacements Urbains en 2008 mais la définition d’une politique intégrée de la mobilité dans l’espace casablancais, prenant en compte les changements profonds de la société et des territoires, devient de plus en plus pressante. La planification des transports s’effectue toujours à l’échelle de la commune de Casablanca sans articulation directe entre urbanisme et choix de transport. Aujourd’hui, les besoins et les enjeux de mobilité à l’échelle métropolitaine sont importants. La commune de Casablanca a engagé dernièrement, par l’intermédiaire de l’établissement de coopération intercommunal « El BEIDAA », la préparation d’un PDU élargi au territoire couvert par cette intercommunalité. Cependant, la réussite d’une stratégie de mobilité cohérente, au niveau de l’aire métropolitaine, ne peut être effective sans coordination avec les autres politiques notamment en matière d’urbanisme et de planification régionale.

Dans le domaine de l’urbanisme, par exemple, La planification est assurée par quatre Agences Urbaines sans réelle coordination entre elles, ce qui impose sans doute, dans l’avenir la mise en place d’un mécanisme d’harmonisation de leurs actions dans l’attente d’une entité régionale chargée des questions d’urbanisme et d’aménagement. Pour le moment, des orientations différentes cohabitent en matière d’urbanisme dans le cadre des SDAU en cours d’application dans la région. Le SDAU de Casablanca adopté en 2010 et révisé en 2014 couvre le territoire de l’ancienne région du Grand Casablanca. Il est appliqué sous la supervision de l’Agence Urbaine de Casablanca, placée sous tutelle du Ministère de l’Intérieur. Les trois autres SDAU sont élaborés et gérés par les Agences Urbaines sous la tutelle du Ministère de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.

En matière de planification régionale, nous retrouvons aussi cette cohabitation de schémas de développement engagés par des institutions différentes. Il s’agit de la Wilaya de l’ancienne région du Grand Casablanca et du Conseil de la nouvelle Région Casablanca-Settat.

Le PDGC 2015-2020, élaboré par la Wilaya, est mis en œuvre depuis la fin 2014, avec une enveloppe budgétaire globale de 33,6 milliards de DH (environ 3 milliards d’euros). Plus de la moitié de ces crédits (16 milliards de DH) sont réservés au transport et à la mobilité dans le Grand Casablanca pour le renforcement du transport collectif et le développement d’infrastructures routières. Ce sont les SDL mandatées par la Commune Urbaine qui sont chargées de la réalisation des projets.

Après le démarrage de la nouvelle région Casablanca-Settat, le conseil régional a élaboré et adopté le PDR pour la période 2017-2023, comme stipulé dans la loi organique des régions n° 111-14. C’est un plan ambitieux qui comprend plus de 160 projets structurants organisés autour de cinq axes : transport, qualité de la vie, industries et emplois, environnement et intégration des espaces ruraux. L’enveloppe budgétaire nécessaire à sa mise en œuvre est estimée à 115 milliards de DH  (10,4 milliards d’euros). La part réservée au transport et à la mobilité régionale est de 47 milliard de DH. La mise en œuvre de ce plan est tributaire de la signature d’un contrat-programme Etat-Région au cours de l’actuelle mandature.

La problématique du transport et de la mobilité est ainsi au cœur des préoccupations des acteurs. C’est un axe essentiel dans la construction du projet métropolitain et de la consolidation de la région. Toutefois, l’articulation entre ces différentes stratégies reste à définir (absence de lien entre le SDAU et le PDU, non clarification de la relation entre le PDR et le PDU).

L’analyse du contenu du PDGC et du PDR montre un certain nombre de similitudes et de ressemblances, en ce qui concerne les projets, mais on ne relève aucune action réelle, de mise en cohérence, permettant d’intégrer et de rapprocher les initiatives engagées de part et d’autre et de renforcer les synergies entre les acteurs.

La région se propose de développer, dans le cadre du PDR, des territoires fonctionnels en terme de vocation et de vision économique (Fig 15). Le PDGC renferme des ambitions similaires pour le Grand Casablanca.

Fig 15 : Vocations des territoires de la région Casablanca-Settat
Source : PDR Région Casablanca-Settat 2017

Avant l’achèvement de son mandat en 2021, le Conseil régional devra finaliser et adopter son SRAT, un autre document proposant lui aussi « des ambitions de développement » pour tout le territoire régional et ce pour les vingt-cinq années à venir.

La mise en correspondance des projets au niveau des différentes échelles territoriales avec les financements engagés est fondamentale pour l’harmonisation et la rationalisation de l’investissement public. La multiplicité des niveaux de commandement exprime l’urgence du défi à relever pour résoudre la question de gouvernance à Casablanca.

Cette question a toujours été présente depuis un demi-siècle ; des ajustements sont chaque fois introduits sans pour autant intégrer les multiples dimensions du développement de la métropole du pays. Depuis la dernière réforme régionale (2015), le dispositif institutionnel des acteurs intervenants sur le territoire s’est largement étoffé et les responsabilités diluées.

Source : Elaboration A. KAIOUA, juillet 2020

Au début de la décennie quatre-vingt qui a marqué un tournant dans l’histoire de Casablanca, son territoire était commandé et techniquement encadré par 83 entités. Aujourd’hui le nombre d’institutions intervenant dans la gouvernance casablancaise dépasse 270. L’espace métropolitain (ancien territoire du Grand Casablanca) en compte 115, composée d’autorités nommées ou d’élus, d’administrations déconcentrées mais surtout de structures techniques de gestion et d’opérationnalisation des projets. La Commune urbaine de Casablanca s’est dotée de huit sociétés de développement local ( SDL), en l’espace de dix ans, chargées de gérer les projets d’une manière « plus efficace » que l’administration communale jugée pléthorique, insuffisamment qualifiée et peu motivée. Ce choix est perçu par beaucoup comme un signe de faiblesse et de défaillance des instances politiques existantes.

Le niveau élevé de fragmentation administrative et la complexification du dispositif de gouvernance représentent un sérieux handicap pour la convergence des politiques publiques et l’ajustement des interventions à l’échelle des territoires.

Conclusion

La construction d’un système de gouvernance locale pertinentes est certainement un processus long, toutefois elle doit être prioritaire dans les préoccupations des décideurs et centrale dans le débat en cours sur le futur modèle de développement.

Le Maroc est à l’aube d’un nouveau contrat de développement matérialisé par le Nouveau Modèle en préparation. La place de Casablanca dans la construction et la réussite de cette ambition nationale est centrale, compte tenu de son poids majeur dans l’économie du pays. C’est une autre opportunité qui s’offre aux responsables publics d’accorder à la métropole casablancaise l’intérêt nécessaire pour dépasser ses handicaps, libérer ses énergies et soutenir son rôle catalyseur du développement régional et national et de rayonnement international. La réflexion sur un Nouveau Modèle de Développement National est aussi une occasion pour le pays d’engager un débat profond sur la problématique métropolitaine dans le cadre d’une politique nationale d’urbanisme et d’aménagement du territoire renouvelée et partagée.

Sources bibliographiques consultées :

  • Agence Urbaine de Casablanca (2014) : Le SDAU du Grand Casablanca 2010
  • Conseil Régional du Grand Casablanca (2017) :   Programme de Développement Régional, Rapport de synthèse.
  • Casablanca-Transport (2018) : Le PDU de Casablanca, Rapport d’évaluation.
  • Direction Aménagement du Territoire (2009) : Le SOFA de l’aire métropolitaine centrale Casablanca-Rabat, Rapport définitif de synthèse.
  • FOKAR B. (2006) : Réflexions générales sur la déconcentration administrative, Publication de l’association Casablanca – Carrières Centrales
  • KAIOUA A. (2000) : Aménagement urbain et unité de la ville, l’exemple du Grand Casablanca, Publication Club Convergence 21, Rabat « Attrait de la ville, crise de la cité »
  • KAIOUA A. (2002) : Interrogations sur la gestion urbaine de Casablanca, « Unité de la ville est évolution des concepts de l’autorité » (en arabe) Editions Afrique-Orient, Casablanca.
  • KAIOUA A. (2009) : Gouvernance urbaine et politiques d’agglomération, le cas du Grand Casablanca. « Terrains et échelons de la gouvernance : expériences en France et au Maroc » Direction J.M. MOISSEC, Editions L’harmatan.
  • KAIOUA A. (2014) : Dynamiques urbaines et mobilités des populations dans le Grand Casablanca, Colloque en hommage à M. Berriane, Rabat, Juin 2014 ( à paraître)
  • KAIOUA A. (2016) : La métropole casablancaise, à la recherche d’une gouvernance efficiente et durable. « Gouvernance durable des villes du Maroc » Conseil Economique, Social et Environnemental, Rabat, Décembre 2016
  • Ministère Aménagement du territoire et Urbanisme (2018) : Dynamiques et disparités territoriales au Maroc 1999-2014, Rapport final.
  • NACIRI M. (2000) : L’aménagement des villes et ses enjeux, « Attraits de la ville, crise de la cité », Publication Club Convergence 21, Rabat.
  • NACIRI M. (2017) : Désirs de ville, Publication Economie Critique, Rabat
  • OCDE (2016) : Politiques de développement territorial au Maroc, Dialogue Maroc-OCDE.
  • OCDE (2018) : Quelle gouvernance pour une aire métropolitaine durable et inclusive de Casablanca ?, Rapport de synthèse des rencontres du Grand Casablanca et de Rabat, Janvier- Mars, 2017.
  • TROIN J.F. (2019) : Les choix des métros, tramways, RER dans les trois métropoles du Maghreb : Tunis, Alger, Casablanca (à paraître) Edition Fondation de la Mosquée Hassan II.
  • TROIN J.F. (2020) : Le TGV marocain (AL BORAQ), un pari réussi ?, (à paraitre)
  • Wilaya du Grand Casablanca (2015) : Le plan de développement stratégique du Grand Casablanca 2015-2020, Rapport de synthèse.

- Abdelkader KAIOUA

Université Hassan II, Casablanca

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