Taoufik Ait Bouchgour, La marocanisation des banques au Maroc : Esquisse d’une histoire économique du temps présent, thèse de doctorat en cotutelle en histoire, sous la direction de Tayeb Biad et Pierre Vermeren, Université Hassan II de Casablanca et Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2022.
Cette recherche vise à apporter une contribution précieuse à la compréhension du passé récent du Maroc en se penchant sur la politique de marocanisation des institutions bancaires à la suite de la période du protectorat. Il est essentiel de noter que les études historiques dédiées au secteur bancaire marocain sont rares, laissant ainsi un champ de recherche presque inexploité. L’objectif de l’œuvre de Taoufik Ait Bouchgour est d’explorer les racines de l’implantation du système bancaire au Maroc sous le protectorat, puis de suivre son évolution et ses réorganisations après l’indépendance.
La question centrale de cette thèse, qui s’inscrit à la croisée de l’économie et de l’histoire, est la suivante : le Maroc a-t-il réellement atteint une indépendance véritable après le départ des Français ? Autrement dit, a-t-il réussi à obtenir une indépendance financière ? Dans quelle mesure la politique de marocanisation a-t-elle libéré le royaume de l’influence du capital français et européen ?
La méthodologie et le corpus de la thèse sont construits autour de cette problématique principale. L’ambition est de contribuer à une histoire contemporaine de l’économie marocaine du XXe siècle, notamment après 1956, en se concentrant sur le secteur bancaire. Les exigences méthodologiques, telles que la collecte, la critique et la mise en relation des sources, sont appliquées avec rigueur. Une particularité de cette recherche est l’utilisation de sources nouvelles, différentes de celles traditionnellement utilisées par les historiens.
En effet, en plus des sources primaires et secondaires habituelles, notre recherche a exploré un éventail plus large de ressources, notamment des statistiques officielles, des rapports institutionnels, et des données disponibles en ligne. Ces diverses sources nous ont permis d’approfondir l’étude de l’évolution du secteur bancaire marocain et d’obtenir une vue plus complète de son développement au fil du temps. En suivant l’approche méthodologique rigoureuse de cette thèse, chaque source a fait l’objet d’une analyse critique pour déterminer son authenticité et sa fiabilité. Ce processus, combiné à l’utilisation d’outils scientifiques appropriés, nous a permis de tirer des conclusions solides, contribuant ainsi à une meilleure compréhension de l’histoire économique du Maroc.
L’accès à l’information concernant le secteur bancaire étant limité, nous avons élargi notre notion de sources. Cela a donné une nouvelle dimension au document et a nécessité un traitement spécifique, comme l’a souligné Marc Bloch, l’historien doit être judicieux dans le choix de ses documents.
Pour mener cette recherche, nous avons constitué un large corpus composé de différents types de documents, y compris ceux produits par les institutions bancaires elles-mêmes. Le corpus comprend également des documents d’archives consultés, notamment à l’étranger, en particulier pour la période coloniale (Archives Diplomatiques de la Courneuve et de Nantes ; Archives historiques de la BNP Paribas à Paris et à Dinan). En ce qui concerne la période postcoloniale, qui est l’objet de notre recherche, les documents étrangers potentiellement utiles dans ce domaine sont rares, et l’obtention d’autorisations pour les consulter est difficile, comme c’est le cas du dossier intitulé « Marocanisation » aux archives diplomatiques de Nantes, qui ne sera librement communicable qu’après expiration d’un délai de 50 ans. C’est pourquoi cette nouvelle orientation de la documentation a conduit à une étude caractéristique de l’histoire de la marocanisation des banques axée sur les documents produits par les institutions étudiées, ainsi que sur les rapports de Bank Al Maghreb et de son service central des risques, du Groupement Professionnel des Banques du Maroc et les rapports annuels d’activités des Banques, ainsi que les statistiques fournies par la Direction de la planification relevant du Ministère des Finances.
Notre recherche est structurée en deux parties, subdivisées en chapitres et sections. La première partie porte sur l’activité bancaire au Maroc de 1900 à 1972, suivie d’une deuxième partie dédiée à la marocanisation des banques de 1973 à 1977. La thèse commence par un chapitre introductif qui soulève les problématiques et les préoccupations méthodologiques liées à l’écriture de l’histoire économique du passé proche. Ensuite, le premier chapitre décrit l’origine et la genèse du système bancaire marocain, expliquant comment les banques ont joué un rôle dans les conquêtes étrangères et le financement du protectorat.
Le deuxième chapitre se penche sur la période post-coloniale (1956-1972), marquée par des mesures importantes, notamment la démocratisation politique, la libération du reste du territoire, le développement économique, et les obligations en matière de justice sociale et de répartition de la richesse. Le secteur bancaire connaîtra alors des réaménagements structurels importants, tels que l’extension de la loi bancaire à l’ensemble du territoire marocain, la création de la Banque du Maroc en 1959, la création et/ou la restructuration d’organismes financiers spécialisés publics ou semi-publics (SNI, CNCA, CDG, BNDE et CIH), ainsi que la création d’un secteur bancaire marocain à caractère public avec la création de la BMCE en 1959 et la restructuration du Crédit Populaire en 1961. Le chapitre se termine par l’examen des opérations de fusion-absorption qui accompagnent une première marocanisation qualifiée de persuasive.
Le troisième chapitre se concentre sur la marocanisation impérative et la manière dont elle a accéléré le processus de décolonisation économique du Maroc. Il explore l’impact de la mise en œuvre de la marocanisation sur l’association du capital privé marocain et étranger, ainsi que les lacunes dans cette politique qui ont préservé la position dominante des actionnaires initiaux, principalement français et européens, dans le secteur bancaire.
Le quatrième chapitre examine en détail les formes et les implications de l’interpénétration entre les banques et les groupes privés. Il présente des cas concrets de groupes étudiés tout au long du chapitre, confirmant ainsi les hypothèses initiales concernant le rôle influent des banques marocanisées dans le processus de concentration et de centralisation du capital. Les résultats de cette recherche soutiennent l’idée que les transformations dans le secteur bancaire durant la période post-coloniale ont contribué à reproduire les structures coloniales sous de nouvelles formes adaptées à l’indépendance. De plus, les intérêts étrangers continuent de jouer un rôle solide dans l’économie marocaine, en partie en raison de la dynamique économique différenciée entre la bourgeoisie d’affaires marocaine, plus axée sur le commerce et la spéculation, et celle de l’Europe développée, plus orientée vers l’industrie.
En conclusion, cette thèse vise à fournir des enseignements précieux aux chercheurs et à la communauté scientifique en explorant la corrélation entre les facteurs sociologiques, historiques et organisationnels dans la transformation des banques et du système économique au Maroc. L’approche interdisciplinaire utilisée, combinée à une variété de mesures, élargit le débat sur l’histoire économique et financière au Maroc dont bien des aspects demeurent dans la pénombre.